Discours de JL Mélenchon au congrès du Mans

Publié le par PRS69

Voilà, l’histoire est dite. Je ne sais pas si j’ai trouvé les mots pour essayer d’en convaincre. Je sens qu’elle vacille. Je suis sûr d’une chose, avec de la volonté, on y arrive. De toute façon, vous avez dans vos rangs le nombre de rebelles disponibles pour la chose.

Merci, mais bon, on s’est compris.

Quoi qu’il nous en coûte, je crois qu’il faut nous donner tout le temps une chance de se comprendre. Pour ma part, je m’en ferai un devoir. C’est mon treizième congrès, je n’ai pas l’impression que ce soit le plus facile.

Quand je suis arrivé, je ne savais pas sur quel ton je le prendrai. Évidemment, on nous demande toujours : « Alors la synthèse... » On arrive, il faut le temps que ça se fasse. Un congrès, c’est à cuisson douce. Comment j’allais faire ? J’ai vu comme tout le monde la délégation qui était devant la porte, et j’ai fait comme la plupart d’entre vous qui ne sommes pas d’ici, je suis allé toucher les mains et discuter un peu pour comprendre. Alors on s’explique.

Je m’avance vers le gars de la CGT, il a mon âge. Je me dis : on va se comprendre. Je le regarde dans les yeux et je lui dis : « Alors qu’est-ce que je dois faire ? » Parce que je sais très bien qu’en arrivant ici, si on s’entend, on va dire : « Alors, tout ça pour ça ! », et si on sort et qu’on ne s’est pas entendu : « Vous ne comprenez rien ! »

Qu’est-ce qu’il faut faire ? Et le gars me dit : « Sortez-nous quelque chose de là-dedans, sinon on est marrons ! » J’ai ma feuille de route, je ne barguigne* pas, j’ai compris. Je sens d’instinct quelque chose dont je ne trouve pas toujours les mots. Quelque chose que dans notre texte nous avons appelé l’état d’urgence avant que cela devienne l’appellation d’une loi. Quelque chose qui nous fait sentir que notre vieux et tumultueux pays est rentré de nouveau dans une de ces ères de grandes turbulences qui sont les refrains de notre histoire.

Alors évidemment, je parle de l’état d’urgence, celui, où, par une phrase absolument terrible, d’un français exécrable dont je suis le responsable, est décrit en disant : « Tous les curseurs de crise entrent en ligne rouge. » Ce n’est pas la même chose que ce qu’a fait Sarkozy.

Cette loi d’urgence de Sarkozy, c’est d’abord une loi d’aubaine. Si nous en avions besoin que d’un seul témoignage, qu’on nous dise ce que vient faire comme réponse aux émeutes urbaines l’abaissement de l’apprentissage à 14 ans. Quel rapport ? C’est aggraver les choses, et là je crois que depuis cette tribune, je parle en notre nom à tous, si nous revenons, nous abolirons cette décision inique.

En France, l’âge de la scolarité obligatoire, c’est 16 ans pour tous les petits Français et pas seulement pour certains. C’est une loi de provocation. Moi, quand on me parle d’une loi de 1955, j’ai l’âge qui me permet de faire des comparaisons, et qui me permet de savoir que les lois d’exception, les lois d’urgence n’ont jamais rien réglé, c’est l’égoïsme social, c’est l’étroitesse* ethnique* qui empêchent que les Français vivent entre eux et qu’on puisse vivre ensemble.

La droite a rompu toutes les digues, c’est pourquoi c’est si grave. Parce que nous ne nous y trompons pas, il en reste quelque chose, partout. Enfin tout de même, ce n’est pas seulement les injures, si ce n’était que des injures, on dirait : on voit bien comment ils entretiennent le désordre, pour ensuite apparaître comme ceux qui veulent le réparer, en quelque sorte, du producteur au consommateur. Mais nous avons entendu remettre en cause le droit du sol à Mayotte, à La Réunion. Et bien, nous nous accrocherons becs et ongles pour défendre le droit républicain à être français, quand on a touché le sol de France.

Honte aux fauteurs de haine qui, à la Réunion, proposent même des tests ADN pour vérifier la paternité des enfants qui ont été adoptés. Voilà ce qu’a fait l’UMP. Mais aussi tenons compte du fait que cette pression nous est d’abord destinée. Ils voudraient que nous reculions. Je l’ai vu l’autre jour au Sénat ce Garde des Sceaux qui nous dit : « On vous connaît la gauche ! » parce qu’ils ont toujours un mot pour faire monter l’escalade. « On vous connaît, vous passez vite -s’agissant des incidents et des violences et des incendies- vous passez vite de la compréhension à l’approbation ! » Il espérait qu’on vienne japper en cadence, pour dire « pas nous, pas nous, répression, allez-y. »

Parce que nous, bien sûr, on ne peut pas être d’accord avec les voitures qui brûlent, les gymnases, les violences. On ne peut pas être d’accord avec tout cela. Mais ce qu’ils veulent, c’est que nous taisant sur un point, nous nous taisions sur tout, qu’il n’y ait plus de parti pour porter la voix des humiliés. Et bien même dans la pire des violences, celle qui peut nous choquer le plus, souvenons-nous du message de Jean Jaurès, « la cruauté des rebelles est comme une marque des vieilles servitudes qu’ils ont endurées. » Souvenons-nous Gracus* Baboeuf* qui, le premier avait compris que pour que la République s’accomplisse, il fallait qu’elle soit le socialisme.

Les insurgés sont éduqués à la cruauté par leurs maîtres. Ce qu’ils veulent à droite, c’est criminaliser l’action populaire, alors bien sûr, ils le prennent par le bout qui leur semble le plus faciliter la démonstration.

C’est pourquoi je crois aussi là parler en notre nom à tous, en disant à José Bové : « Il y a aussi beaucoup de gens qui ne t’approuvent pas, et il y en a d’autres qui t’approuvent. Mais tu n’as pas à craindre de m’avoir appelé pour que la question soit posée au congrès du Parti, il n’y a pas un socialiste qui soit d’accord pour que tu ailles en prison parce que tu as défendu par ton action syndicale ce que tu crois. »

Alors, ce qui met tout par terre, c’est de les voir se dandiner. Ils rétablissent l’ordre, et ils rajoutent « Républicain », on ne parle de République qu’avec le bruit des mousquetons et dans la fureur des escadrons. L’ordre républicain étant compatible avec le désordre libéral. Si vous voulez rétablir l’ordre républicain, détruisez le désordre libéral.

La République est l’extension du champ de l’égalité, et s’il y a eu quelque chose de républicain pendant ces heures si dures dans ces banlieues dans lesquelles tant d’entre nous sont élus, où tant d’entre nous militent, s’il y a quelqu’un qu’il faut saluer, ce n’est pas seulement les pompiers, les policiers, les éducateurs, bien sûr qu’ils le méritent, les élus, cela va de soi, c’est le peuple lui-même qui est descendu et qui a refusé la guerre ethnique, la guerre raciale, la guerre religieuse à laquelle on le poussait. La ferveur républicaine du peuple français a été attestée par la façon dont en définitive les choses ont tourné.

Ce peuple, c’est notre point d’appui. J’en viens à l’idée suivante : face à l’état d’urgence, plus que jamais, il est nécessaire que se construise une union des gauches. Mais naturellement, je parle de cette union politique entre des partis politiques. Nous la connaissons, je crois que nous la voulons tous. Elle doit être sans exclusive, pour une raison : c’est que personne à gauche ne doit être émancipé d’avoir à répondre à la question de savoir ce qu’il fait des voix qu’il sollicite dans le peuple, les stérilise-t-il pour manifester l’accroissement de l’audience de telle ou telle théorie ? Ou bien pousse-t-il à ce qu’elle vienne s’adjoindre pour mener le grand combat de la gauche, pour changer la vie, c’est-à-dire pour gouverner ?

Cette question, il faut la poser à tout le monde, y compris à l’extrême gauche.

L’union politique est une condition du combat social lui-même. Sans l’union, qui vient en quelque sorte tresser les fils, l’énergie se disperse, elle est perdue, mais l’union aussi nous éduque, nous rééduque, nous transforme mutuellement. Cela ne suffit pas. L’union dont je parle doit nous permettre d’inventer quelque chose qui permette de faire venir du terrain à la transformation sociale. On n’a pas assez mesuré ce que cela nous a coûté, en dépit de nos efforts, de ne pas avoir ce mouvement d’allers et retours entre l’action gouvernementale et l’action populaire. Le moment est donc venu d’imaginer cette nouvelle union populaire qui implique le peuple lui-même qui en a montré l’extraordinaire capacité, dans son investissement intellectuel dans la compréhension du traité constitutionnel, puis ensuite dans la manière magnifique avec laquelle il a protégé ses enfants dans les banlieues, pendant qu’ils étaient provoqués de toutes les façons possibles par la droite.

Il faut une union populaire qui vienne du peuple, qui parle au peuple, qui éduque le peuple et qui permette au peuple d’éduquer ceux qui le gouvernent, c’est-à-dire qu’il faut gouverner autrement.

Enfin, je viens à la dernière question, celle qui a posé le plus de problèmes entre nous. J’ai écouté tout ce qui s’est dit à cette tribune, et je crois pouvoir dire que sur la question de la Constitution européenne, nous avons dorénavant les moyens de dépasser ce qui nous a opposés, pour la raison suivante : plus personne ne nie que cette question sera posée à celui ou à celle qui aura à gouverner notre pays, à le présider au lendemain de 2007. Et j’ai entendu dire à la tribune que, naturellement, tous, nous sommes prêts à porter la phrase qui compte, non pas celle qui nous réconcilie entre nous-mêmes, cela est toujours possible dans une famille, mais qui nous réconcilie avec toute la gauche, la phrase qui compte, celle qui consiste à dire si le Président ou la Présidente de la République vient de nos rangs, alors elle ne signera pas la Constitution européenne.

Si vous le voulez, si vous l’acceptez, alors je me dis content. Et je dis : on peut tourner la page. Naturellement, cela a d’immenses conséquences et au moins une à laquelle que demande que réfléchisse chacun de ceux et de celles qui auraient le cas échéant à porter nos destins. Si nous ne signons pas, alors il faut faire ce qui est nécessaire, dès maintenant, avec nos camarades du Parti socialiste européen, pour que le processus de ratification s’interrompe, et qu’un nouveau processus constituant soit engagé.

Sur ce nouveau processus constituant, nous pouvons nous retrouver, il parle au peuple, tout le monde comprend, et nous sortons tous par le haut de cette affaire. Nous avons des alliés. Déjà parmi les Verts, cette proposition a été reprise. Je sais qu’elle fait débat parmi les communistes. Non, nous ne sommes pas isolés.

Cette fois-ci, je finis. Camarades, avec beaucoup d’autres, je crois que les vertus républicaines et socialistes du peuple français ne peuvent s’épanouir sans qu’elles soient encouragées par nos appels et notre pratique, mais plus encore par le fait qu’elles confient à leur patrie républicaine, un horizon commun.

La construction européenne, l’émergence d’une grande nation fédérale mise dans la main de chacun et à portée du bulletin de vote de chacun à égalité est cet horizon de dépassement. Il est conforme à l’universalisme républicain des Français. Il reste notre cause.

Voilà, l’histoire est dite. Je ne sais pas si j’ai trouvé les mots pour essayer d’en convaincre. Je sens qu’elle vacille. Je suis sûr d’une chose, avec de la volonté, on y arrive. De toute façon, vous avez dans vos rangs le nombre de rebelles disponibles pour la chose.

Publié dans Opinion

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